Depuis 2015, le Burkina Faso souffre de conflits violents en raison de la présence de groupes armés extrémistes dans la région nord du pays frontalière du Niger et du Mali. L’état d’urgence a été déclaré en 2018 et renouvelé en 2021, restreignant la liberté de mouvement et de réunion dans le pays. Le mécontentement croissant des forces militaires à l’égard de la direction du président Kaboré, aggravé par des mois de manifestations antigouvernementales, a alimenté le coup d’État mené par l’armée le 24 janvier.

Dans un récent entretien téléphonique, le Dr Daouda Diallo, lauréat du prix Martin Ennals 2022, nous a parlé des récents développements au Burkina Faso, notamment la condamnation du président Compaoré, l’escalade de la violence et la façon dont les DDH s’en sortent sur le terrain.

Nous avons récemment lu de bonnes nouvelles en provenance du Burkina Faso. En 1987, alors président du Burkina Faso, Thomas Sankara, a été assassiné lors d’un coup d’État dirigé par Blaise Compaoré. 34 ans plus tard, un tribunal burkinabé a condamné l’ex-président Blaise Compaoré (1987 à 2014), à la prison à vie pour le meurtre de son prédécesseur. Quelle est votre opinion sur cette évolution ?

« La condamnation du président Blaise Compaoré nous donne un sentiment de victoire contre l’impunité après un procès qui a duré 34 ans. C’est un sentiment de joie que justice ait été rendue, et c’est aussi un sentiment de soulagement pour la famille de Thomas Sankara qui attendait le verdict. C’est la preuve que tôt ou tard, un jour ou l’autre, la vérité rattrape le mensonge », nous dit le Dr Diallo. Depuis plus de trois décennies, cet assassinat et le procès ont profondément traumatisé les Burkinabés. Il pense que la condamnation apportera de l’espoir et un sens de la justice aux Burkinabés« .

Quelle est la situation au Burkina Faso aujourd’hui, trois mois après le coup d’Etat du 24 janvier ?

Le Dr Diallo réitère que le coup d’État est la conséquence d’une mauvaise gouvernance caractérisée par une corruption flagrante, des violations systématiques des droits humains fondamentaux et des disparitions forcées de la population civile au Burkina Faso . Selon Diallo, même si les militaires sont aujourd’hui au pouvoir, la situation sécuritaire continue de se détériorer . Les attaques des factions djihadistes sévissent dans les territoires du nord. Il y a quelques semaines, 17 civils et 13 militaires ont été tués lors d’un raid dans le nord du pays. Le gouvernement a envoyé des renforts pour sécuriser les bases militaires après ces attaques.

Plus de 2 millions de civils ont été déplacés en raison de l’escalade de la violence ces dernières années et le coup d’État n’a pas amélioré la situation. « Nous continuons d’assister avec tristesse aux disparitions forcées de civils : en un mois , nous avons observé au moins 44 cas », a ajouté le Dr Diallo.

Le 1er avril, Paul-Henri Sandaogo Damiba, chef du putsch militaire du 24 janvier et président du gouvernement de transition, a annoncé l’ouverture d’un dialogue avec les groupes djihadistes. Il a dévoilé les « Comités locaux de dialogue pour la restauration de la paix », dont la mission est d’initier des démarches auprès des membres des factions qui ont rompu le dialogue avec les autorités étatiques. Selon le Dr Diallo, il y a en effet un grand besoin de dialogue local entre les différentes parties, pour désamorcer les tensions intercommunautaires nées du conflit.

Quelle est votre perception de votre propre sécurité aujourd’hui ?

Après le coup d’État militaire, les civils armés des milices pro-État se sont sentis enhardis et ont pesé publiquement. Le Dr Diallo a déclaré que des civils avaient été enlevés et exécutés sommairement.

Le Dr Diallo et ses collègues peuvent sentir le danger pour eux-mêmes. Ils se rendent régulièrement dans les communautés de l’Est du Burkina Faso, près des frontières avec le Niger et le Mali, là où la violence est la plus aiguë. La présence de la milice armée dans l’Est du pays menace les défenseurs des droits de l’homme – dans le cas du Dr Diallo, ils ont diffusé de fausses informations et affirmé qu’il protégeait les terroristes djihadistes. Le Dr Diallo et ses collègues vivent sous pression et estiment que la situation n’est plus tenable.

Malgré la situation, le Dr Diallo est déterminé à poursuivre son travail au Burkina Faso et à trouver un équilibre avec sa sécurité personnelle. La Fondation Martin Ennals facilite le soutien psychosocial et les opportunités de formation à la sécurité pour les défenseurs sous la contrainte.

Le Dr Diallo se rendra à Genève, en Suisse, pour recevoir le prix Martin Ennals lors de la cérémonie de remise des prix le 2 juin.

www.martinennalsaward.org